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Axel Munshine est l’ancien ‘’ Grand conciliateur ‘’ de la Guilde qui règne sur l’ensemble des mondes habités. Déchu de son titre, il n’est plus qu’un proscrit, pourchassé d’un monde à l’autre par la ‘’ garde pourpre ‘’. Son crime ? Avoir osé franchir ‘’ les portes du sommeil ‘’ et tenté d’atteindre, par delà le réel, une femme – appelée Chimeer – entrevue dans un rêve. Il est accompagné de Musky, un(e) adoslescent(e), enfant du prince des Eternautes, dont l’âge est bloqué à 13 ans , et le sexe indéterminé , tant qu’un adulte ne lui aura pas ‘’ donné envie de vieillir ‘’. A eux deux ils sillonnent l’univers à bord du ‘’ Dauphin d’argent ‘’ à la recherche d’un indice ou d’une porte qui amènerait Axel à cette femme aimée.
Avec ce magnifique synopsis de départ les auteurs ont bâti une oeuvre pleine de rebondissements, évidemment très dépaysante, propre à embrasser des thèmes universels. Chimeer est – elle réelle ou le produit de l’imaginaire ? Quel rêve, si beau soit-il, vaille que l’on affronte l’évidence ? Avec des personnages attachants et originaux, un univers de space opera sombre et parfois comique, des scénarios inventifs et des dialogues ciselés, la série ‘’ le Vagabond des limbes ‘’ de Godard et Ribera a longtemps été la meilleure du genre.
Le dessin de Ribera a alors atteint sa pleine maturité. Après 25 ans de labeur, hésitant entre bd réaliste et humoristique (sans doute au gré des commandes ), inspiré de Milton Caniff son style a longtemps été convenu et sans réelle originalité. Avec le Vagabond des limbes, il s’épanouit et laisse parler son coté noir. Godard ‘’ connaissait mon penchant pour les choses sombres , pour une certaine pourriture, une composition maladive ( … ) je peux me défouler et je lui en suis très reconnaissant ‘’ disait – il ( Cbd n° 41 )
De tous les albums ‘’ les démons du temps immobiles’’ – un très beau titre – est probablement mon préféré. Axel y affronte non des hommes mais ses propres fantômes. Il se rend sur la planète Omphale, la planète ‘’ du temps pétrifié ‘’ , habité par le peuple étrange des Kanybs. Il demande aux grand chaman le droit de traverser le ‘’ labyrinthe aux trois monarques ‘’ et s’y rencontre aux trois âges, enfance, jeunesse , vieillesse , les reniant, les affrontant, quitte à perdre une part de lui-même.
Jamais l’entente entre les deux créateurs ne m’a semblé aussi complète : Ribera s’éclate graphiquement et Godard excelle dans l’art de la formule
- Avancer c’est bien joli, ça ! mais par où ? … Par ici ? par là ? A droite ? A gauche ? …
- La puanteur vient de par là c’est donc par là qu’il faut aller !
- Alors là cette fois, la preuve est faite ! Axle ton cerveau bat la breloque ! Enfin ! Quel raisonnement biscornu peut – il te pousser ainsi à te jeter tête baissée dans la direction où ça schlingue le plus ?!?
- Parce que je suis ici pour savoir, petit clown ! Savoir ! Et que la vérité sent toujours mauvais. Toujours !
C’est là toute la richesse du genre » science fiction » que de pouvoir brasser des thèmes profonds – ici quasi psychanalytique – dans une apparente légèreté. Faut – il détruire pour avancer ? Munshine n’hésite plus.
Godard a toujours eu le génie de créer des personnages sensibles, rudes mais au grand cœur , à l’image de Martin Milan publié dans le journal ‘’ Tintin ‘’. Son Axel est , de même , un personnage attachant, humain. Fragile, il peut se saouler, tenter de se suicider, séduire, s’émouvoir , renoncer, rebondir … La figure de Musky est bien plus qu’un faire-valoir et à partir du dernier prédateur son rôle devient même central et la série bascule intelligemment quand elle semblait pouvoir s’épuiser.
Hélas, comme toutes les séries qui ne veulent pas s’arrêter , elle a connu un sommet, un trou d’air, pour rebondir puis se perdre à nouveau, cette fois définitivement. En quittant Dargaud pour s’auto-éditer au Vaisseaud’argent, en augmentant le rythme de parution ( 1 album tous les 4 mois … ) la série a perdu son âme . Elle n’est plus la même. D’une série adulte, elle devient adolescente. Peu à peu l’inspiration de Godard s’épuise, sujets et dialogues radotent, même le dessin de Ribera, assisté de Plumail pour les décors et Chagnaud pour les couleurs, devient plus baclé et perd la noirceur et l’imagination des débuts.
Il en va de la Bd comme des feuilletons tv . A l’instar des créateurs de Lost , Godard savait – il où il allait en créant ses personnages ? Il semble clair qu’à un moment il s’est trouvé dans une impasse. La série est donc inégale mais l’amateur de bd se doit de posséder les 15 premiers volumes qui lui donneront de beaux et bons moments de lecture . Pour ma part, j’ai cessé peu après de l’acheter, et de la lire. Qu’est Chimeer devenue que j’avais de si près tenu ? Je ne le saurai pas…
Malgré ma déception, je garde une affection profonde pour cette série qui a bercé mon adolescence et relu ma collection avec un grand plaisir, convaincu d’avoir là du bien bel ouvrage. Il faut lire le Vagabond des limbes, pour toutes les raisons sus-dites et peut être, aussi, pour cette morale, sans cesse redite, et qu’il n’est pas inutile de répéter :
‘’ Il y a toujours des portes petit clown , toujours ! ‘’
4 commentaires
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Très beau commentaire ! Le hasard est parfois amusant, je me suis justement procuré le premier album de cette série il y a peu, quelques jours avant que tu n’en parles… Ah, ces connexions…
Commentaire by mitchul 10.12.10 @ 18:08Dernière publication sur Me, myself and I : Voilà, Voilà - Rachid Taha (Barclay, 1993)
Merci mon ami. j’ai eu du mal à rendre compte du style de Ribera. certains disent qu’il est » classique » mais c’est quoi un style » classique ?? Pour moi il a une patte très personnelle. Attention Mitchul : quand tu mets les pieds dans le plat de cette série tu ne la quittes pas !
Commentaire by nantua 10.12.10 @ 22:21C’est justement ce que j’attends d’une bonne série ! Ribera a un style classique, mais également psychédélique !!
Commentaire by mitchul 10.13.10 @ 21:47Dernière publication sur Me, myself and I : Voilà, Voilà - Rachid Taha (Barclay, 1993)
Oui, c’est vrai …
Commentaire by nantua 10.14.10 @ 12:51