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J’ai toujours détesté les corneilles. A chaque fois que je les croise ou que j’entends leur chant guttural ça me fait froid dans le dos. Je n’aime pas ces bestioles.
Je me souviens avoir vu l’une d’elle se précipiter sur un moineau, dans la cour de mon immeuble, et l’attaquer mortellement au cou avant que je ne puisse intervenir.
Cet oiseau est comme l’antithèse de la grâce que l’on peut accorder habituellement à ses congénères : un chant léger, un plumage coloré, sa capacité à voler, son innocence. Ils sont lugubres perchés sur leur branche.
A l’inverse il m’arrive parfois de rencontrer, lors de mes promenades aux bords de l’Erdre, un héron – s’agit-il toujours du même ?
A force de le croiser j’ai fini par penser qu’il fut mon ami. Une sorte d’âme bienveillante qui s’invite de temps en temps, une rencontre gaie et souriante. Il a fier allure ce volatile perché sur son bateau, et si peu farouche.
Et les journées s’en trouvent comme confortées dans l’étonnement de cette rencontre. On garde longtemps le sourire aux lèvres dans les heures qui suivent.
Il me semble parfois que l’existence – la mienne en tout cas – balance trop souvent entre la corneille et le héron.
Parfois c’est la corneille qui parle. C’est le triste, l’inquiet. la tendance névrotique à faire parler ses échecs, à refaire les mêmes erreurs, à les réalimenter sans cesse dans une vision circulaire et morose.
ça peut s’appeler autrement : Manque de confiance , peur d’essayer, de rater, de réussir, d’être heureux, trop heureux, malheureux. Tous ces fils invisibles sont des parasites qui nous empêchent de vivre pleinement, en conscience.
Heureusement il y a le héron. La capacité à se faire surprendre chaque jour par des rencontres, en saisir le bon, s’en émouvoir gentiment.. Savoir vivre l’instant, sans se raconter d’histoires, être curieux ,calme, lé-ger.
ça s’appelle simplement la joie, et la joie c’est de l’amour : l’amour des gens, d’un homme, d’une femme, la nuit, le jour, l’amour du bon vin, des promenades au bord de l’eau, d’une musique, des voyages, d’un concert, d’un ami, d’une amie, d’un paysage, d’un beau ciel rougeoyant.
Curieusement alors que la tristesse est monolithique la joie est plurielle, plus riche en vérité, et bien plus féconde.
Bien sûr, c’est un chemin difficile, mais c’est le seul.
Voilà, c’est encore l’été. Les nuits sont chaudes, les femmes sont belles, les gens sourient, et moi j’avais juste envie de me redire ça, tant que j’en suis capable.
C’était en Irlande, la veille de mon retour pour la France. Cre-vé, couché tard avec le festival de musique irlandaise le soir précédent et les bières qui vont bien. Petite nuit.
Je me suis trompé de bus et me suis fait arrêté en urgence le long d’une nationale.
J’ai voulu traverser la route. J’ai oublié qu’en Irlande on roulait à gauche et j’ai regardé dans la mauvaise direction.
Absorbé dans mes pensées j’ai rien vu, rien entendu. Une voiture est passée à 80 km à l’heure et m’a frôlé à 25 ou 30 centimètres près. Je sais pas.
J’étais sonné.
Qu’est ce qui s’était passé exactement ? Est ce que ça avait eu lieu ? ça tient à quoi ? Une bière en trop ? Une courte nuit ? Un esprit qui n’est pas à ce qu’il fait ?
Pendant les deux jours qui ont suivi je suis resté chez moi. J’ai mis du temps à atterrir.
Je me suis souvenu de cette conversation que j’avais eu avec un ami quelques semaines auparavant.
« A mon âge on a plus le temps de se faire chier avec des connards, des embrouilles, des personnes tristes ou toxiques On fait le tri. »
« C’est con à dire mais maintenant je vais du côté des vivants. »
Du côté des vivants, c’est par là, à trente centimètres.
Il a dit du côté du vivant ou des vivants. Je m’en souviens plus.
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