Balade dessinée

AMERICAN ELF de James Kochalka
6 septembre, 2009, 12:28
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Le lecteur courageux qui aura terminé le pavé de 488 pages publié aux éditions Ego comme X éprouvera peut – être, comme moi, un sentiment confus mêlé d’agacements, d’amusements, d’enthousiasmes, de rires, d’ennuis … impressions multiples, à l’image d’un livre étonnant, reflet kaleidoscopique d’une vie, qu’on ne peut ni aimer ni rejeter d’un bloc.

Il faut reconnaître à James Kochalka le mérite d’avoir mené un exercice singulier et assez exceptionnel, à mon sens unique en Bd. L’auteur, un américain du Vermont, musicien à ses heures ( il a six cd à son actif , youtube a quelques vidéos) est tombé très tôt dans la marmite  » comics  ». Son père était l’éditeur américain de Tintin . Dans  » American Elf  » Il décide de se raconter, se représentant sous les traits d’un être imaginaire. Le journal n’est que l’aspect le plus connu de cet auteur à la production impressionnante.

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Le pari est osé : un strip par jour depuis octobre 1998 ( le volume s’achève en 2003 ) , rythme auquel il n’a guère sacrifié que quelques semaines en 2000. L’entreprise l’épuise, il doute, puis se reprend. Son journal d’un elfe est – comme la vie ! – inégal . Parfois l’auteur a de bonnes idées, parfois il n’a rien à se mettre sous la plume. De son ennui ou de son manque il peut tirer un strip cocasse, ou tomber à plat … peut – on lui en faire le reproche car c’est tout autant la démarche que le propos qui intéresse ici.

 

 

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Il faut prendre le livre comme un tout où « pris individuellement, chacun de mes strips ne signifie presque rien, mais ensemble, ils gagnent en puissance. ». On peut choisir de le lire en continu ou de s’y balader en picorant. La formule retenue autorise une liberté totale de lecture.

On pense à Trondheim – qu’il a rencontré – alignant des kilomètres de planches pour apprendre à dessiner. Il en va de même de Kochalka qui peaufine, jour après jour, son trait. Pour être honnête, il n’a pas un graphisme éblouissant, même s’il manie assez bien les contrastes entre les noirs et les blancs . L’intérêt du livre est ailleurs : saisir la totalité d’une vie, en alternant scène réaliste et  »magique  » ou le chien, par exemple, se met à parler.Au final, malgré ses faiblesses, l’ensemble est réussi. Peu à peu on s’attache à ce grand enfant, à sa femme, à leur chien, leur chat , leurs amis, leur bébé qui nait . Sa réussite ? Faire d’un  » rien  » une somme et nous parler , sous couvert du quotidien, de nous : rien de moins …

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L’entreprise s’est achevé le 31 décembre 2012. On trouvera le dernier strip sur  son site internet. Il a vieilli, est père de  deux enfants. La couleur y a fait son apparition. Sa bd évolue et reflète le mouvement de la vie. En le terminant on a autant le sentiment d’avoir lu une bd que de vivre une expérience. Pour autant, sa lecture marque , pour moi, la fin d’un cycle. En épuisant le thème de l » ego  » jusqu’à la lie Kochalka sonne un peu le glas d’un genre en le sublimant tout en l’épuisant. Après lui , pourra – t – on encore aller plus loin ? En achevant son bouquin je me suis plongé dans un bon vieux Murena, et si je sais que j’aimerai toujours les romans graphiques ( il m’en reste quelques uns dans ma bibliothèque à découvrir ) je pense aussi que je vais, maintenant, ouvrir plus en grand les écoutilles.

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40 days dans le désert B de Moebius
19 août, 2009, 23:05
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40 DAYS DANS LE DESERT B de Jean Giraud / Moebius.

40 days dans le désert B de Moebius dans critiques moebius

     Un Format à l’italienne, assez inhabituel , un espace improbable ( le désert B ), une énonciation franco-anglaise pour une temporalité singulière, presque christique ( 40 days … ) et une ( quasi ) absence de textes : L’ovni (re)publié aux éditions Stardust ouvre d’emblée sur un univers profondément original, déconcertant, unique. Bref, un livre de Moebius.

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           S’agit –il encore de Bande dessinée ? On y chercherait en vain un récit où l’on suivrait de manière linéaire le déroulement d’une intrigue jusqu’à la chute finale. Le livre ressortirait plutôt du genre du carnet – qu’il revendique – ou du tableau , sorte de déclinaison multiple sur un thème de départ . On y trouvera cependant la récurrence d’un personnage – un archer, sorte de yogi ( ? ) – d’objets, de lieux, et les planches finales suggèrent qu’on a bien eu affaire à une  » histoire  » … mais dont le lecteur n’aura pas les clefs, ou toutes les clefs. Reste , pour lui , à s’abandonner à l’imaginaire, seul vrai sujet de ce grand livre.

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     Car pour peu que l’on renonce à toute idée de compréhension – au vrai un peu vaine – demeure la jouissance de s’immerger dans un  » livre monde  » , un univers en soi où les repères connus disparaissent pour ne plus retenir que la justesse d’un trait à nul autre pareil – sans crayonné ! – où chaque image est à contempler, à admirer, où s’exprime un sens hors pair de la composition et une imagination fertile, extra-ordinaire au sens propre du terme. Un livre où l’on nous perd à dessein.

     Le personnage du Yogi ( l’auteur lui-même ? ) incarne les possibilités infinies de l’imaginaire et il n’est peut être pas abusif de voir dans  » 40 days dans le désert B  » comme un éloge du dessin, seul capable par sa puissance d’évocation de nous emmener loin, très loin … au – delà, dans un monde à soi, libérée de toute entrave formelle. C’est un plaisir rare que d’y pénétrer.

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The autobiography of me too.
5 août, 2009, 16:48
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     Une fois n’est pas coutume :  laissons la parole a Monsieur Mitchul, boulimique de sons et d’images, qui a entrepris dans son blog une radiographie de ses passions et, par là, de lui même. Un bon exemple , ici, avec sa critique de l’autobiographie imaginaire de Bouzard , rigoureuse et bien amenée et sur laquelle je n’ai rien à ajouter. Merci Mitchul  et à toi la plume :

«   The autobiography of me too de Bouzard. Les requins marteaux . 2004 /08

 

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J’ai découvert Bouzard dans les pages de Fluide Glacial avec son Club des quatre et dans Ferraille Illustrée, où il exprime déjà sa passion du football avec les aventures du FC Ferraille. Il est également scénariste pour Besseron (Claude et Jérémy) et s’est fait connaître dans les pages de Jade avec son super héros abruti Plageman. Bouzard a su renouveler le genre autobiographique en y injectant une bonne dose d’absurde, d’autodérision, et malgré tout un peu de vérité… Il est devenu son propre héros de BD !

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Proche dans l’esprit du Retour à la Terre de Larcenet et Ferri (mais en moins sentimental), Bouzard nous raconte sa vie de trentenaire installé à la campagne avec son amie, son chien stupide (qui parle et s’habille comme tout le monde), ses potes d’apéro, le patron du bar, les nouveaux X-Men, Dieu ou Lemmy de Motorhead… Des situations banales qui tombent à chaque fois dans le délire, le grand n’importe quoi. C’est génialement con ! Bouzard est un fan de Punk Hardcore (qui craint le « Jazz mou ») et ça se ressent…

Dans cette série excelle toute la virtuosité et la vivacité de son trait. Le fait de s’imposer une structure en gaufrier l’oblige à faire preuve d’une inventivité constante. C’est de cette contrainte que son style humoristique, expressionniste et « underground » prend toute son ampleur et sa démesure. Avec de belles couvertures collorées, ce dynamisme des planches associé au dynamisme du trait, les Autobiography of me too sont des albums qui vous sautent littéralement à la figure et accrochent le regard. Un régal !

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Débutée dans le My Way de Chester, cette série fut diffusée dans les pages du Psikopat. En noir et blanc, les 3 premiers volumes sont édités chez les Requins Marteaux (dans la belle collection Centripete)… Le quatrième (Autobiography of a Mitroll), tout en couleurs, est sorti dans la collection Poisson Pilote de Dargaud. De même que son Football Football, une compilation des strips qu’il dessina pour le journal Sofoot (entre 2006 et 2007) comprennant également un compte rendu dessiné de la coupe du monde 2006. C’est super marrant et toujours super con (genre Steve Marlet est-il le fils de Bob Marlet ?), même si on est pas super fan du ballon rond (et oui, il y en a !). « 

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Pourquoi j’ai tué Pierre
14 juillet, 2009, 23:10
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POURQUOI J’AI TUE PIERRE – Alfred & Ka (2006 chez Delcourt)

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 » Pourquoi j’ai tué Pierre  », au même titre que  »L’ascension du haut mal  » de David.B  et les  » pilules bleues  » de Frederic Peeters, est un récit qui touche aux failles de l’existence, en l’occurrence le traumatisme d’un acte pédophile sur le scénariste, à l’âge de 12 ans qui décide, après un long cheminement – qui est l’objet de ce livre – d’exorciser ses démons et faire son deuil. Pour cela, il lui faut  » tuer Pierre  » comme on tue le père : pour se libérer, parce qu’il n’a plus le choix. Il lui faut donc raconter.

Or, comment raconter  » ça  » ? Comment rester pudique ? Comment rester juste ? A ces doutes Alfred et Olivier Ka répondent de la plus belle manière, en signant une œuvre très originale et profondément humaine. Comme souvent, c’est la combinaison jubilatoire d’un dessin touchant et créatif – avec de jolies couleurs de Henri Meunier – et d’un scénario sensible et inventif, qui contribuent à faire de cette œuvre une BD majeure, du genre dont on se souvient longtemps après la lecture.

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Le dessin, d’abord, qui utilise maints procédés en fonction des situations vécues, de leur intensité dramatique. Le récit est joliment mis en image par un trait qui épouse la vision de l’enfance, un peu simpliste, jamais simplet. L’usage de photos, travaillées ou non, en fin de récit, contribue à accentuer l’effet de réel et fait émerger une vérité plus crue, moins distanciée.

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Le scénario – merveille de construction, entre introspection, récit dialogué, silence – se décline en trois temps : L’avant , celui de la découverte du corps – du sien, de l’autre – de la culpabilité, du bien être, de la nature, des amis, des questions : l’enfance quoi, entre sombre nuage et légèreté. Puis  » l’évènement  », au cœur du récit, un moment raconté de manière extrêmement sensible ,un sommet dramatique, puis l’après : le rejeu de la mémoire que l’on avait tapie dans l’ombre, le besoin d’en parler, le malaise de vivre avec ça, jusqu’à la chute, bouleversante.

Pourquoi j’ai tué Pierre a reçu le prix du public à Angoulème en 2007 : Il est mille fois mérité ! Ce beau livre fait désormais parti de ma bibliothèque et j’en suis pas peu fier !

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La jonque fantôme vue de l’orchestre de JC Forest
5 juillet, 2009, 13:45
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LA JONQUE FANTÔME VUE DE L’ORCHESTRE – Jean-Claude Forest (Casterman, première édition 1981)

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Qu’est ce qu’un chef d’oeuvre ?  » Œuvre capitale, parfaite en son genre  » ( dictionnaire hachette .. ) On pourrait ajouter : Exemple :  » La jonque fantôme vue de l’orchestre  » de J.C Forest. Personellement , elle est la première bd qui m’ait fait découvrir la puissance évocatrice de la narration dessinée. C’est ma Madeleine de Proust : j’y reviens toujours, à un moment ou à un autre.

Forest est partie trop tôt, en 1998. Quand j’ai appris sa mort j’ai éprouvé une réelle tristesse La jonque fait partie de sa dernière phase créative, la plus féconde à mon sens. Barbarella , publiée en 1962 fut un événement par la liberté narrative et sociologique ( la place nouvelle de la femme ) dont il témoignait. La Bande dessinée entrait dans l’âge adulte … ça fait longtemps que je ne l’ai pas relu mais il me semble qu’elle est – malgré ses qualités , et parce qu’elle s’inscrit dans une époque – un peu datée. Ses derniers albums – Enfants, c’est l’hydragon qui passe ou Ici même dessiné par Tardi et la jonque – sont sans doute des œuvres plus universelles parce que hors du temps, bercées d’une poésie et d’un onirisme assez rares.

Le titre lui-même, mystérieux, intrigant, ouvert, est une invitation à s’égarer dans un récit très original :  » Au début du XXe siècle, le jeune soldat déserteur Gaston Gamine échappe de peu à la noyade et se retrouve sur les rives serbo-croates (en Saravonie Argovine, entendez la Yougoslavie). Il rencontre presque aussitôt Winnic Radbod, un vendeur de « fenêtres hygiéniques », de celles qui donnent sur des univers parallèles. Il les vend, là, en pleine guerre, à ceux qui veulent encore rêver. Et Gaston est de ceux-là. Il devient l’apprenti du commerçant et finit par basculer de l’autre côté du miroir dans un ailleurs où l’attend une femme étrange. » ( sources : cndp.fr )

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Dans un style parfois très expressionniste, rappelant certaines gravures anciennes des beaux livres d’antan Forest donne vie à ce récit en laissant libre court à l’imaginaire le plus débridé. Grand dessinateur il use d’une plume nerveuse et dynamique , mariant noir et blanc à la perfection, jouant assez peu sur les aplats et lui préférant des compositions hachurées qui participent au dynamisme du récit. Forest est alors au sommet de son art et il y a de la jubilation dans son trait.

Ce plaisir ne serait rien s’il n’était servi par un texte inventif qui témoigne d’un sensibilité profonde. Littéraire mais sans redondance, Forest aime écrire et cela se sent. Il y a parfois du Céline dans la gouaille de Gaston Gamine. Le texte est dense et la collection  » roman A suivre  » dans lequel il fut publié se justifie totalement.

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Osez enjamber la fenêtre : passez de l’autre coté. C’est ce à quoi vous invite ce mariage heureux du plaisir d’écrire et de dessiner. Un quoi déjà ? Ah oui : un chef d’œuvre !

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