Classé dans : journal
Cela fait maintenant trois ans que, sillonnant les rues de Vilnius, en Lituanie, je tombai , sous un marché couvert, sur un étal où une marchande vendait à vil prix des carnets à la brochure solide et la couverture chatoyante. Je songe à cet instant car, me trouvant en la possession de ces deux bouquins, je me suis fait un devoir de les barbouiller de mon trait, retrouvant ainsi une pratique du dessin régulière, ce qui ne m’était pas arrivée depuis mon adolescence. Les études , le boulot, tout cela m’avait éloigné de ce que je considérais être ma vocation première et j’ai retrouvé un plaisir que j’avais honteusement tapi comme si le passage à l’âge adulte devait détruire les heures passées à dessiner dans ma chambre et l’enfant qui va avec.
Ce deuxième carnet se terminera inévitablement et je m’en suis longtemps voulu de n’en avoir acheté que deux. Pourtant, je sais que si je le fermerai avec une pointe de nostalgie, cela n’est peut être pas plus mal qu’il se termine. Au fond, ses pages n’étaient pas faites pour le dessin et mes traits avaient une fâcheuse tendance à baver dès le premier jet, il me fallait alors un peu d’imagination pour corriger le tir. Je vais passer à autre chose et mon crayon se fraiera un chemin sur des pages dédiées à cet exercice.
J’avais envie, au départ, de tenir un journal régulier, au quotidien. La force de l’inertie, la charge et la fatigue du boulot m’auront éloigné de ce premier voeu mais au fond , est – ce si important ? Je sais bien que je ne serai jamais dessinateur. Je suis trop vieux et, en aurais-je le talent, je ne suis pas sûr qu’une vie à plancher chez soi soit celle qui me convienne. Il me manquerait la passion et la concentration nécessaires pour ce métier difficile et sacerdotal. Je ne serai donc jamais qu’un amateur éclairé et, tout bien pesé , cela me convient bien. Le dessin est une passion parmi d’autres et je fais partie de la race qui papillonne. Et puis je picole trop.
Si ce carnet n’a aucune volonté professionnelle, il n’en demeure pas moins vital et je me sentirais amputé de quelques choses si je ne m’accordais ce temps de création – de récréation – qui me fait dessiner ces pages comme un carnet à desseins. Il peut, au choix , être un marqueur du temps qui passe, ma manière à moi de voir défiler les instants et de tenter de m’en souvenir, et par la même de les retenir.
Il est aussi une manière plus prosaïque de progresser dans mon trait, dans la recherche d’un style, en considérant que chaque page est une avancée. Il est un cahier d’exercices permanent et je m’en veux souvent d’être trop timoré et ne pas le sortir lorsque je suis avec mes amis et les croquer. Timidité, que de crimes ne commet – on pas en ton nom ! Qu’a - t – on à perdre dans un dessin qu’on ne puisse avoir l’audace de le tenter ? Dessiner , c’est gagner en confiance mais gare à celui qui échoue !
Il n’y a pas de mauvais sujet, pas d’objet ou de chose qui ne trainant sur la table, s’égarant dans la rue, ne puisse faire l’objet d’un grobard pourvu qu’il ait pour seul objet de retenir l’attention.
Comme amateur , je m’émeus devant chaque page que je noircis. A chaque fois j’ai le même étourdissement, comme si je n’avais rien appris, comme si c’était la première fois. Je cherche encore le dessin idéal. Je sais qu’il reste à venir. Je sais que ce carnet est inabouti, qu’il n’a pas de fin. Il n’est rien d’autres qu’un lien. Une manière de tenir le fil.
Le seul dessin qui me satisfasse, peut-être, serait cette statue inspirée de Jules Verne dont j’ai fait le bandeau de présentation de mon blog. Non qu’il soit parfait ( au contraire ). L’honnête homme qui ferait le chemin jusqu’à la butte Ste Anne pour jouer au jeu des comparaisons serait sans doute déçu s’il recherchait un rendu exact – on pourrait dire » objectif » du réel. Mais qu’est-ce que la » vérité » d’une statue ou d’un dessin de la statue ? J’emmerde le vrai. Le dessin n’est jamais qu’un point de vue, et je dessine pour voir … plus loin, et au-delà.