Passages
Il existe à Nantes trois passages couverts. J’aime ces endroits de transit, à la fois au centre et à l’écart. Avec cette chaleur pas facile de dégoter une place en terrasse mais j’y suis parvenu au matin d’une courte nuit.
L’occasion est bonne de publier ce commencement de bd que j’avais entamé il y a quelques années. J’aimais bien l’idée d’en situer l’action de départ dans le passage Pommeraye, poétique à souhait.
Le lien
29 juin, 2010, 23:42
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journal
Cela fait maintenant trois ans que, sillonnant les rues de Vilnius, en Lituanie, je tombai , sous un marché couvert, sur un étal où une marchande vendait à vil prix des carnets à la brochure solide et la couverture chatoyante. Je songe à cet instant car, me trouvant en la possession de ces deux bouquins, je me suis fait un devoir de les barbouiller de mon trait, retrouvant ainsi une pratique du dessin régulière, ce qui ne m’était pas arrivée depuis mon adolescence. Les études , le boulot, tout cela m’avait éloigné de ce que je considérais être ma vocation première et j’ai retrouvé un plaisir que j’avais honteusement tapi comme si le passage à l’âge adulte devait détruire les heures passées à dessiner dans ma chambre et l’enfant qui va avec.
Ce deuxième carnet se terminera inévitablement et je m’en suis longtemps voulu de n’en avoir acheté que deux. Pourtant, je sais que si je le fermerai avec une pointe de nostalgie, cela n’est peut être pas plus mal qu’il se termine. Au fond, ses pages n’étaient pas faites pour le dessin et mes traits avaient une fâcheuse tendance à baver dès le premier jet, il me fallait alors un peu d’imagination pour corriger le tir. Je vais passer à autre chose et mon crayon se fraiera un chemin sur des pages dédiées à cet exercice.
J’avais envie, au départ, de tenir un journal régulier, au quotidien. La force de l’inertie, la charge et la fatigue du boulot m’auront éloigné de ce premier voeu mais au fond , est – ce si important ? Je sais bien que je ne serai jamais dessinateur. Je suis trop vieux et, en aurais-je le talent, je ne suis pas sûr qu’une vie à plancher chez soi soit celle qui me convienne. Il me manquerait la passion et la concentration nécessaires pour ce métier difficile et sacerdotal. Je ne serai donc jamais qu’un amateur éclairé et, tout bien pesé , cela me convient bien. Le dessin est une passion parmi d’autres et je fais partie de la race qui papillonne. Et puis je picole trop.
Si ce carnet n’a aucune volonté professionnelle, il n’en demeure pas moins vital et je me sentirais amputé de quelques choses si je ne m’accordais ce temps de création – de récréation – qui me fait dessiner ces pages comme un carnet à desseins. Il peut, au choix , être un marqueur du temps qui passe, ma manière à moi de voir défiler les instants et de tenter de m’en souvenir, et par la même de les retenir.
Il est aussi une manière plus prosaïque de progresser dans mon trait, dans la recherche d’un style, en considérant que chaque page est une avancée. Il est un cahier d’exercices permanent et je m’en veux souvent d’être trop timoré et ne pas le sortir lorsque je suis avec mes amis et les croquer. Timidité, que de crimes ne commet – on pas en ton nom ! Qu’a - t – on à perdre dans un dessin qu’on ne puisse avoir l’audace de le tenter ? Dessiner , c’est gagner en confiance mais gare à celui qui échoue !
Il n’y a pas de mauvais sujet, pas d’objet ou de chose qui ne trainant sur la table, s’égarant dans la rue, ne puisse faire l’objet d’un grobard pourvu qu’il ait pour seul objet de retenir l’attention.
Comme amateur , je m’émeus devant chaque page que je noircis. A chaque fois j’ai le même étourdissement, comme si je n’avais rien appris, comme si c’était la première fois. Je cherche encore le dessin idéal. Je sais qu’il reste à venir. Je sais que ce carnet est inabouti, qu’il n’a pas de fin. Il n’est rien d’autres qu’un lien. Une manière de tenir le fil.
Le seul dessin qui me satisfasse, peut-être, serait cette statue inspirée de Jules Verne dont j’ai fait le bandeau de présentation de mon blog. Non qu’il soit parfait ( au contraire ). L’honnête homme qui ferait le chemin jusqu’à la butte Ste Anne pour jouer au jeu des comparaisons serait sans doute déçu s’il recherchait un rendu exact – on pourrait dire » objectif » du réel. Mais qu’est-ce que la » vérité » d’une statue ou d’un dessin de la statue ? J’emmerde le vrai. Le dessin n’est jamais qu’un point de vue, et je dessine pour voir … plus loin, et au-delà.
De dos
Quand j’arriverai à dessiner les gens de face peut être me regarderai je en face ?
Ah tiens, là j’y étais parvenu. Avais je bu ?
Leela et Krishna de Georges et Layla Bess
Le hasard fait bien les choses. On revient, un brin désabusé, et trempé, d’une marche humide et sans croquis et on choisi de se réfugier chez un libraire d’occasions. Une couverture tape à l’œil. D’emblée, le graphisme séduit. Pour le récit, on verra plus tard et , hop ! C’est dans la poche.
Je connais mal Georges Bess. Les deux premiers tomes de son Lama blanc m’avait séduit puis j’avais trouvé que le scénario de Jodorowsky s’épuisait. Co-écrit avec son épouse ( et les mettant tous deux en scène ) Leela et Krishna, publié en l’an 2000, s’apparente à ce que l’on pourrait appeler – un peu pompeusement ( faites excuse ! ) - une œuvre ‘’ totale ‘ où humour, poésie, tragédie, mysticisme se mêlent à la manière d’un conte, léger et profond.
Ce registre de la fable offre aux auteurs une grande liberté graphique et narrative. Le scénario est inventif : un couple marche sur une plage, en Inde. Georges raconte l’ histoire qu’il veut dessiner à sa compagne qui réagit, critique, amende les propos de son mari. Le récit avance, s’interrompt, repart, jouant habilement la partition d’une bd en train de se faire.
Krichna, un fabuleux musicien, aime Leela, une magnifique danseuse, qui l’ignore froidement. Désespéré il vient implorer l’aide d’un sorcier qui , au prix de 20 ans de sa vie et de la perte de son œil droit, accède à sa demande : Leela l’aime enfin. Heureuse, leur union se révèle stérile et Krichna retourne voir le sorcier qui exige un tribut plus lourd encore : son autre œil, son ouïe et la perte de leurs talents respectifs. Il accepte et Leela est enceinte mais elle met au monde un enfant monstrueux, détenteur de pouvoirs extraordinaires. On en dira pas plus de cette fable toute jodorowskienne , qui se conclue en un final mystique , sans être obscur.
Il est lassant d’avoir à écrire d’un auteur qu’il ‘’ maitrise ‘’ son trait et l’on voudrait trouver des mots plus justes pour qualifier la grande maturité d’un dessinateur. Il serait tentant de réduite Bess à un épigone de Moebius ( on pense aussi à Boucq ) , même s’il est des références moins estimables. Bess appartient à cette école de la fulgurance graphique où personnages, attitudes, proportions, paysages sont rendus à la perfection, dans un noir et blanc parfaitement dominé, mais, par son sens de la composition, il se révèle un dessinateur très personnel.
Les auteurs ont semblé avoir une grande liberté par rapport aux contraintes éditoriales. Le format inhabituel de l’album, plutôt large, permet des mises en page ambitieuses, loin de tout cadre formel. Bess se contente souvent d’une, deux ou trois images par page , déployant tout l’art de sa plume. Il a visiblement pris son pied à illustrer ce récit. De même, en deux tomes et sur 230 pages , l’histoire à le temps de se déployer.
Bref, j’ai eu beaucoup de plaisir à lire cette bande dessinée et je remercie les giboulées de printemps. Je m’étonne d’être passé à coté de ce récit au moment de sa sortie. Peut être l’éditeur – Carabas – était – il trop confidentiel ? En attendant je ne saurai trop recommander la ( re ) découverte de ce bel ouvrage.
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