Leela et Krishna de Georges et Layla Bess

Le hasard fait bien les choses. On revient, un brin désabusé, et trempé, d’une marche humide et sans croquis et on choisi de se réfugier chez un libraire d’occasions. Une couverture tape à l’œil. D’emblée, le graphisme séduit. Pour le récit, on verra plus tard et , hop ! C’est dans la poche.
Je connais mal Georges Bess. Les deux premiers tomes de son Lama blanc m’avait séduit puis j’avais trouvé que le scénario de Jodorowsky s’épuisait. Co-écrit avec son épouse ( et les mettant tous deux en scène ) Leela et Krishna, publié en l’an 2000, s’apparente à ce que l’on pourrait appeler – un peu pompeusement ( faites excuse ! ) - une œuvre ‘’ totale ‘ où humour, poésie, tragédie, mysticisme se mêlent à la manière d’un conte, léger et profond.
Ce registre de la fable offre aux auteurs une grande liberté graphique et narrative. Le scénario est inventif : un couple marche sur une plage, en Inde. Georges raconte l’ histoire qu’il veut dessiner à sa compagne qui réagit, critique, amende les propos de son mari. Le récit avance, s’interrompt, repart, jouant habilement la partition d’une bd en train de se faire.

Krichna, un fabuleux musicien, aime Leela, une magnifique danseuse, qui l’ignore froidement. Désespéré il vient implorer l’aide d’un sorcier qui , au prix de 20 ans de sa vie et de la perte de son œil droit, accède à sa demande : Leela l’aime enfin. Heureuse, leur union se révèle stérile et Krichna retourne voir le sorcier qui exige un tribut plus lourd encore : son autre œil, son ouïe et la perte de leurs talents respectifs. Il accepte et Leela est enceinte mais elle met au monde un enfant monstrueux, détenteur de pouvoirs extraordinaires. On en dira pas plus de cette fable toute jodorowskienne , qui se conclue en un final mystique , sans être obscur.

Il est lassant d’avoir à écrire d’un auteur qu’il ‘’ maitrise ‘’ son trait et l’on voudrait trouver des mots plus justes pour qualifier la grande maturité d’un dessinateur. Il serait tentant de réduite Bess à un épigone de Moebius ( on pense aussi à Boucq ) , même s’il est des références moins estimables. Bess appartient à cette école de la fulgurance graphique où personnages, attitudes, proportions, paysages sont rendus à la perfection, dans un noir et blanc parfaitement dominé, mais, par son sens de la composition, il se révèle un dessinateur très personnel.
Les auteurs ont semblé avoir une grande liberté par rapport aux contraintes éditoriales. Le format inhabituel de l’album, plutôt large, permet des mises en page ambitieuses, loin de tout cadre formel. Bess se contente souvent d’une, deux ou trois images par page , déployant tout l’art de sa plume. Il a visiblement pris son pied à illustrer ce récit. De même, en deux tomes et sur 230 pages , l’histoire à le temps de se déployer.

Bref, j’ai eu beaucoup de plaisir à lire cette bande dessinée et je remercie les giboulées de printemps. Je m’étonne d’être passé à coté de ce récit au moment de sa sortie. Peut être l’éditeur – Carabas – était – il trop confidentiel ? En attendant je ne saurai trop recommander la ( re ) découverte de ce bel ouvrage.
ici : Son site
Reprises
Quand il n’y a rien d’autres à faire, quand on attend, quand rien ne vient, quand on a envie d’apprendre, quand on veut comprendre, quand on a pas envie d’aller se coucher … il reste toujours la solution de faire une petite reprise et , maladroite ou inexacte , on s’en fout un peu : reste le plaisir .








Ici Même de tardi et JC Forest
25 avril, 2010, 18:30
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critiques

L’idée me prend en ce moment de relire les bons vieux classiques de ma bibliothèqueet de refaire la carte mentale de mes goûts et dégoûts bédéphiles dans l’hypothétique espoir de répondre à cette passionnante question : quelle-est-la-bédé-que-je-préfère ? Quelle est l’oeuvre ultime ? The bédé ? Celle qui fait qu’on s’exclame ‘’ ah mince alors ‘’ . Ici même a – t – il résisté à l’usure du temps et aux premiers boutons d’adolescent ?
Ben oui. Ce roman ‘’ à suivre ‘’ demeure un incontournable. L’amoureux de Tardi y retrouvera le trait gras qu’il affectionne et la ( déjà ) grande maîtrise d’un ( déjà ) maître qui par son art de la caricature développe un univers presque fellinien. Son dadais filiforme se balade dans un récit encore une fois très inspiré , écrit sans filet, mois après mois, sous la forme d’un feuilleton.
Le domaine de Mornemont est morcelé en propriétés séparées par un mur dont Albert Même est le gardien. Il contrôle les entrées et sorties de chaque parcelle dont il tire un droit de passage et court sans cesse le long des murs pour ouvrir et fermer chaque portail, non sans danger. La propriété appartenait auparavant à sa famille mais il en a été dépossédé par ses cousins et il espère la récupérer en intentant un procès couteux.

Albert est un solitaire, ne causant guère qu’à sa maman, au téléphone, le soir venu, ou avec l’épicier qui vient le livrer en bateau sur le lac. Et puis il y a la belle Julie, qui aime bien Albert , comme elle aime bien les hommes , et qui sera la première à chahuter la vie de Mr Même avant que le président de la république lui même ne s’invite dans un récit improbable, totalement surréaliste, finalement assez noir, riche en rebondissements et dense en paroles.
En effet, et comme toujours, l’écriture de Forest est d’une grande inventivité. Dialogues caustiques et raisonnement bancals ouvrent le bal :
‘’ - Vous voulez boire quelque chose ?
- Bah , si vous insistez …
- Je ne me souviens pas avoir insisté et je ne me souviens pas non plus avoir jamais compris pourquoi les gens boivent tant … je me demande si un jour quelqu’un m’expliquera ce qu’il y a dans le vin … Pour moi le vin et l’huile c’est pareil … avec le vin sur la langue les gens dérapent de la tête comme avec l’huile sur le pavé on dérape de la semelle ! Comment discuter avec des gens qui dérapent et qui, à tort, m’attribuent de l’insistance … Pourquoi pas de l’entêtement ? »
La messe est dite et le scénario ne sortira pas de cette verve,très caustique . Une logorrhée de bons mots qui fait la saveur de la langue forestienne.

Face à une œuvre aussi riche, prolixe en tours et détours, avec un final très ouvert, le lecteur ne peut pas ne pas se poser la question du sens : où les auteurs souhaitent _ ils nous embarquer ? Forest écrivait lui-même dans la préface ( fort instructive ) ‘’ le sens , il faut , je crois, le chercher dans la fascination qu’exerce sur moi la mécanique des choses. En toute simplicité la machinerie du monde ‘’ .
Au fonds, Ici même est l’histoire d’un homme qui n’y est pas, toujours en équilibre, sur un mur étroit, prêt à glisser à tout instant, s’inventant une mère, fantasmant une femme, balloté par l’Histoire avec un grand ‘’ H ‘’ : un pantin parmi d’autres, mené par les flots, comme le lecteur mené par les auteurs.
Un grand récit mais, quant à moi, je n’ai toujours pas de réponse à ma question … il est vrai un peu vaine !
Sam suffit
15 avril, 2010, 14:48
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portrait
Mon petit Sam m’ayant promis de passer faire une visite, je ne pouvais pas faire autrement que célébrer son éternelle jeunesse.

LE DIABLE AMOUREUX et autres films jamais tournés par Méliès.
12 avril, 2010, 19:13
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critiques

Ah le beau livre que voilà ! En 7 récits , tous plus loufoques les uns que les autres, Duchazeau , au dessin , et Velhmann, au scénario, nous offrent une bande dessinée décalée, délirante, magique à souhait, à l’image de Méliès qui officia un temps comme illusionniste et auquel ils rendent hommage à travers ce volume.
Au vrai, il s’agit moins de faire œuvre d’historien – même si on croise Joséphine Baker, Harry Houdini, ou sillonne l’exposition universelle de 1900 - que de se placer sous les mânes du cinéaste précurseur. Un hommage, donc, et une ambiance, un peu ‘’ foraine ‘’ , poétique et fantastique.

Du cinéma de la belle époque, le récit s’inspire par un graphisme dépouillé, d’un beau noir et blanc , aux traits vifs, extrêmement inventif , dans un style qui balance entre Blutch et Pellos et jamais ne répète les mêmes recettes, jouant sur les contrastes, les aplats, les rayures nerveuses, les techniques. Les dessins de Duchazeau sont un régal pour les yeux

Le scénario de Velhmann fait preuve, de même, de beaucoup d’imagination, entre humour ( noir, ça va de soi )et tendresse. Jacques Prévert – qui aida à la redécouverte de son cinéma – rencontre Méliès à la terrasse d’un café et de leurs conversations naissent 7 histoires ‘’ jamais tournées ‘’.
On verra ainsi, au choix, un trapéziste malheureux enquêter sur la défunte Ginette, madame Méliès consulter un oracle pour communiquer avec une ombre distinguée sur la lune ou un diable briseur de cœur … Le scénario est plein de rebondissements et j’ai particulièrement apprécié les chutes finales de ces récits, parfois caustiques.
Bref, une bande dessinée qui, tout en rendant hommage au merveilleux, y ajoute sa propre pierre.
